Le point de vue de l'ectoplasme

 

LE POINT DE VUE DE L’ECTOPLASME (12)

 

 Colin Smith court, l’ectoplasme le suit. Ceci ne pourrait se concevoir autrement. Voyez dans ce phénomène l’implacable empreinte des rouages d’une mécanique céleste quelconque.

 

Ainsi l’ectoplasme ayant vu Colin Smith mettre la barre vers les terres normandes s’est naturellement dit : « Chic, voilà une occasion d’étudier de près le comportement du ptérodactyle rouannais ». Chose qui s’est avérée inexacte étant donné que le binôme s’est arrêté bien avant Rouen, plus précisément à Val de Reuil, là où paraît-il, la tortue jurassique normande paissait jadis sous sa lourde carapace préhistorique. Carapace dont le plastron, soit dit en passant, était constitué par l’assemblage d’un ensemble d’écailles qui avaient une silhouette très proche de celle du calisson d’ Aix.

 

 Mais à Val de Reuil la tortue est une question complètement hors sujet, surtout si l’on songe  au taux d’ imprégnation athlétique de ses  indigènes. Ça suinte de partout, et notamment aux abords du stade Jesse Owens où même les érables chaussent des baskets. La nuit on peut entendre leur foulée si caractéristique, reconnaissable entre toutes au suave chuchotement du feuillage que le vent peigne,  rythmé  à chaque gambade par le tendre craquement du bois vivant. Ce n’est pas la forêt qui marche de Macbeth, c’est la forêt qui court !

 

L’espace/temps ectoplasmique, vous le voyez, a réussi à trouver un chez soi à Val de Reuil, pour loger toute la cohorte d’arcanes et archétypes qui en constituent l’âme. L’illustre assemblée errante d’esprits est venue à la rencontre de deux hôtes d’exception : le Don Quichotte normand et son écuyer Sancho Panza. Les épreuves du siècle ont donné une allure et des manières aux deux héros qui diffèrent de leur constitution cervantesque originale, sans rien leur enlever de leur bravoure ni de leur panache. 

 

Le nouveau Don Quichotte n’est plus tout maigre et frêle : sa stature et sa constitution  font penser à un  commandeur des templiers  dont l’azur du regard aurait forgé sa fermeté dans mille batailles. Sancho, pour sa part, a gardé toute sa verve intarissable, mais a remplacé son légendaire bide par  la craquelure des joues creusés du coureur. La sélection naturelle serait passée par là ? La morosité contemporaine exigerait pour la combattre des telles mutations chez ses ennemis ? Car ils le sont, ces deux-là : de farouches combattants de cette morosité le Quichotte/Liaudet et le Sancho/Garcia –vous les aurez reconnus- et des plus redoutables !

 

La poésie, messieurs,  a besoin pour exister de guerriers de cette trempe. Des guerriers de la logistique, qui dans la boue des tranchées déploient la force d’un titan  tout juste pour que la corolle d’une fleur puisse encore déployer ses couleurs. Ils l’ont fait, et la poésie exhale pour eux à présent les soupirs d’une pucelle qui aurait été arrachée, par l’adresse de leur épée, des griffes du dragon. A eux l’honneur et toute notre reconnaissance.

 

L’ECTOPLASME

 

 

 

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LE POINT DE VUE DE L’ECTOPLASME (11)

 

LES TRESORS DU 9.3

Les chefs d’œuvre de Molière auraient donc été écrits en réalité par Shakespeare. Telle une fabuleuse chute enchainée de dominos l’hypothèse est alléchante  car Shakespeare, lui-même n'ayant pas écrit ces propres  pièces, il  aurait eu tout le loisir de songer au Misanthrope ou à l’Avare avant la naissance même du petit Poquelin. C'est drôle, quand on se prend à contempler le paysage de l’Histoire, l’assemblage des décennies se schématise d’une façon quasi aussi grossière que les méandres d’une partie de domino. Cette dernière pensée s’est manifestée en moi alors que j’étais en pleine communion avec l’un des innombrables tableaux  que Cézanne nous a légué en témoignage de sa fascination concernant la Montagne Sainte Victoire. En 1885 son génie rendait hommage aux galbes du panorama  Acquae-Sextien en réalisant une  peinture où les rondeurs suggèrent presque un assemblage de cubes. Certains y voient même la patte de Corneille, mais passons, cela deviendrait trop alambiqué.

 

Au cours de ma rêverie errante devant Cézanne, la pensée de l’Histoire m’est apparue sous la forme d’un diptyque où, d’un côté, les heures factuelles s’enchaînent trempées par la sueur inhérente au fait de vivre, et de l’autre, le recul des siècles  engloutit  les petites besognes des besogneux, tel un zoom qui s’éloigne.  Je me plais à imaginer Cézanne, aux aguets du sublime dans son poste face à la montagne, apprivoisant une vue mensurable au kilomètre, et je ne peux m’empêcher de concevoir que possiblement une perdrix picorait sous la chaleur aixoise au pied d’un arbre dont la traduction picturale sur la toile  en question se résumerait  à une vague tâche verte d’à peine un demi millimètre... génialissime, certes ! Ainsi, si je travestissais Cézanne en historien spécialiste du  XVIII siècle, tentant d’assembler les différents courants qui ont constitué la pensée révolutionnaire, ma petite et charmante perdrix deviendrait alors un tanneur parisien qui un jour aurait crié «Gare au pot ! », tout en poussant l’adolescent  Robespierre pour éviter qu’un pot bien rempli de terre où poussaient de ternes glaïeuls n’heurte, en tombant d’un troisième étage, le crâne de ce futur et ardent défenseur de la devise qui aujourd’hui trône immanquablement sur les portes de nos mairies.

 

Mais avec toutes ces considérations parfaitement inutiles, j’ai failli oublier l’intention première qui m’avait poussé à vous adresser ce billet, et que voici : je vous informe que  les 6 et 7 février nous allons jouer « La solitude du coureur de fond », dans la salle « Mains d’œuvres »  sise dans la ville Saint Ouen. Pour vous y rendre en transport public le plus facile est de descendre à l’arrêt « Garibaldi » sur la ligne 13 du métro. Si vous habitez loin de Saint Ouen, mais que le réseau du RER C vous est familier, et que vous  êtes amoureux du théâtre alors descendez à la station « Saint Ouen » du RER C.

C'est un menu sacrifice de descendre dans une gare RER de la proche banlieue parisienne, me direz-vous. Les amoureux du théâtre sont bien plus gaillards que  ça, pourriez-vous rajouter. Et j’insiste : il est bien plus pratique d’emprunter le métro ou le bus pour se rendre à « Mains d’œuvres ». Cependant, cette gare RER de Saint Ouen mérite le détour pour une raison ectoplasmique toute particulière : figurez-vous que la parcelle sur laquelle elle s’érige fut jadis le témoin des émois champêtres d’un enfant voué à un destin prodigieux. A l’époque il n’était pas encore connu sous le nom de Molière, il n’était qu’un petit garnement parisien nommé Jean Baptiste Poquelin, qui séjournait sporadiquement dans la maison que son grand père maternel, Louis Cressé, avait acquis à Saint Ouen. Lequel grand père, tenez-vous bien, initia son futur illustre petit fils au théâtre (!!) en l'emmenant maintes fois à l'Hotel de Bourgogne et autres lieux fort recommandables.

Concernant la maison, le fait est attesté et consigné  dans le document que voici : JURGENS M. et MAXFIELD MILLER.   E. (1963). Cent ans de recherches sur Molière, sur sa famille et sur les comédiens de sa  troupe, S.E.V.P.E.N,  859 pages. Nous devons la préface à André Chamson de l’Académie française, et Directeur général des Archives de France. Dans ce texte nous lisons, page 51 : « Le 12 mai 1629, Louis Cressé, pour la somme de 2075 livres, achetait du maître chandelier Jacques Enfry, une propriété sise à Saint Ouen, dans la grand’rue menant à Saint Cloud. » Selon d’autres documents recensés par ce recueil,  Louis Cressé aurait acquis  par la suite d’autres biens fonciers et immobiliers à Saint Ouen. Cette maison longeant la « grand’ rue menant  à Saint Cloud » semble avoir  été un foyer particulièrement fédérateur pour  la famille de notre formidable dramaturge. Dans ce même opuscule, page 53, nous lisons : «  La maison était vraiment une demeure de famille où les Cressé accueillaient enfants et petits-enfants : on comptait sept lits dans la maison et il y avait trois petites chaises d'enfants à la cuisine pour les plus jeunes de la famille. Molière dut, aux alentours de sa dixième année, prendre bien souvent le chemin de Saint-Ouen avec ses parents ou ses grands-parents. On sait qu'une pièce de la maison était réservée à la famille Poquelin: c'était la chambre au miroir (…)”

 

Porté par ma fierté audonienne (habitant de Saint Ouen) et mon profond amour pour  l’œuvre Molière, je pris la décision de m’improviser chercheur dans l’objectif  de localiser l’actuel emplacement où la demeure se trouvait. Une simple visite au très accueillant centre des Archives de Saint Ouen me permit de prendre connaissance du fonds d’anciennes cartes de la ville. Par la suite j’eus tout le loisir de consulter en ligne  ce trésor afin d’effectuer  mes recherches d’historien dilettante. 

 

La seule donnée tangible que je possédais était cette vague « grand’ rue menant  à Saint Cloud ». Je scrutais donc toutes les cartes et cadastres dont je disposais à la  recherche d’une « grande rue » ou bien d’un toponyme approchant du terme « route de Saint Cloud ». Or, il se trouve  que dans un cadastre de 1811 un « chemin de Saint Cloud »  apparaît,   zigzaguant aux bords de  l’actuelle avenue Victor Hugo, et menant jusqu’à la limite de Clichy. 

A l’époque l’avenue Victor Hugo était connue en tant que « Route du bois de Boulogne ».

Il ne serait donc pas improbable que le chemin de Saint Cloud ait gardé ce nom depuis 1629, l’époque de Cressé, jusqu’à 1811. Ce chemin  pourrait ainsi être celui qui menait  à la dite maison. N'ayant point trouvé d’autres pistes, j'entérinais l’hypothèse selon laquelle la maison de Louis Cressé se trouvait quelque part sur ce chemin.  Ce chemin apparaît encore sous cette dénomination sur des cartes élaborées en 1843 et 1870.

En 1870, le chemin de Saint Cloud existe encore. Il est coupé par une voie ferrée qui faisait la liaison avec Paris.

En 1880 le chemin disparaît, mais la voie ferrée qui le coupait existait encore (Raccordement des Docks) 

Le chemin de Saint Cloud suivait donc une trace à peu près équivalente à celle qui est dessinée par les rues Labinal et Nadia Guendouz. La station RER de Saint Ouen se trouve dans la prolongation ectoplasmique de ces deux rues, et elle aurait présenté un aspect tout à fait pratique  pour les déplacements de la famille Poquelin si le réseau RER  avait existé  au XVII siècle.

 

 

Reste à savoir si la « grand’ rue menant à Saint Cloud » mentionnée dans le document publié par les Archives de France correspond au « chemin de Saint Cloud » dont nous avons retracé l’histoire. Mais tout cela est affaire d’historien.

Une étude comparative entre les cartes disponibles aux archives (Cadastre 1811 Section A du village: 14 Fi 2 / Cadastre 1843 Section A : 14 Fi 4/Commune de Saint Ouen 1870 : 10 Fi 21/ Commune de Saint Ouen 1880 : 10 Fi 25)  et  un plan actuel pourrait nous permettre de supposer que le chemin de Saint Cloud suivait la trace des rues Labinal/Guendouz

 Si la lecture de ce billet peut stimuler la curiosité d'une quelconque personne disposant des compétences et du temps nécessaire pour faire une véritable  recherche, j’en serais ravi ô combien ravi. Ceci dit,  pour plaider en faveur de mon hypothèse, le bon sens nous amènerait à penser que dans le petit Saint Ouen de l’époque les toponymes  évoquant le lointain Saint Cloud ne devaient pas  être nombreux.

 

Au début de cet article je fantasmais la scène d’un tanneur parisien qui aurait mené à la guillotine le citoyen Robespierre en le sauvant, quand il n’était qu’un jeune  étudiant arrageois  à Paris,  des conséquences mortelles inhérentes à la réception en plein crane d’un pot de glaïeuls en chute libre depuis un troisième étage. Faudrait arrêter la bibine !  Ou alors pas du tout, parce que c’est au théâtre que je vous invite les 6 et 7 février.

Et qui dit théâtre dit Molière, et qui dit Molière dit Saint Ouen. Je vous  invite donc à y venir... avant que de m’enfoncer d’avantage  dans cette démagogie chauvine qui pointe le bout de son nez. Et puis « La solitude du coureur de fond » c’est tout de même du Corneille, voyons.

 

L’ECTOPLASME

LE POINT DE VUE DE L'ECTOPLASME (10)

 
 "...Si certains d'entre vous veulent des tuyaux sur la course..." Ne vous pressez jamais, dit Colin Smith. Et si certains d'entre vous se trouvent en pleine période de préparation pour le Marathon de Paris ces quelques réflexions qui vont suivre, dont le seul intérêt réside justement dans la profane condition de celui qui les émet, vous sont destinées.  N'ayant pas encore personnellement entamé le moindre centimètre de pavé en tant que coureur de fond, permettez moi de vous amener vers le point de vue qui jadis fut le votre et vous rappeler cette lointaine époque où la virginité concernant les affaires marathoniennes donnait à vos mollets une candeur aussi charmante que leur présent et ferme épanouissement. 
 
Pour celui qui ignore tout de la course, l'exploit du coureur s'avère tout à fait digne d' atteindre  le  rang qui s'élève jusqu'au  palier où trône l'essence de ce que nous pourrions qualifier d'exemple édifiant . Quel mystère! Jusqu'où  la volonté est le moteur ? Quelle espèce d'ivresse quasi mystique doit intervenir dans l'esprit de nos contemporains Philippides en nylon quand, physiquement,  le seuil du supportable a été franchi ? Car la frontière qui longe le terrain où volonté  et surnaturel se côtoient, contient les plus beaux  traits de l'âme humaine. A ce propos je vous livre  l'illustration que voici. Elle provient de la  lointaine lecture d'un ouvrage d'Eliphas Lévi dont j'ai oublié le titre,  détail dont je vous prie de m' excuser,  en espérant que ma négligente incompétence  bibliographique ne puisse en rien vous empêcher de recevoir toute force du récit. 
 
Dans le texte, tel que je m'en souviens, l'auteur propose à son interlocuteur une méthode pour se procurer une amulette tout à fait efficace. Telle est sa proposition: courez, courez jusqu'à l'épuisement total. Quand vous l'aurez atteint courez encore à ne plus en pouvoir. Ensuite courez. Courez jusqu'à que vous sentez votre âme se rendre et encore, après cela, courez. Quand vous aurez assez couru, n'hésitez pas à continuer de courir. Le but du jeu ça est que, quand vous vous écroulerez pour de bon, vous devez agripper de votre main le tout  premier petit  objet que vous trouverez autour de vous -un caillou, un gland feront l'affaire- lequel recevra ainsi toute la charge symbolique de votre capacité à dépasser les limites. Nos amis scientistes dogmatiques pourront apprécier la portée poétique d'un tel acte, et à ceux que ne répugne pas l'idée d' un but d'essai je ne saurai que conseiller de bien choisir le terrain: si on est soucieux de la noblesse du matériel qui constitue son amulette il est bien plus convenable d'emprunter, pour sa séance de torture volontaire, un milieu naturel tel une forêt ou une plage plutôt qu'un usine carambar. 
 
J'ai en chantier un autre dossier qui concerne la volonté et ses limites lequel pourrait avoir besoin de votre concours. Le protagoniste est cette fois ci le Général Desbainson, éminent dignitaire  de l'armée française pendant le Second Empire, et auteur d'un journal de bord inouï  aujourd'hui disparu. Dans l'espoir de déclencher la  fouille providentielle qui permettrait de retrouver ce précieux journal -qui sait?- peut être dans le grenier d'un  lointain parent qui aurait lu ces lignes, je vous livre ici cet épisode immémorial de la vie du Général. 
 
Eugène Desbainson était un redoutable chef de guerre, un homme à la pugnacité maladive qui soumettait ses hommes à une discipline inhumaine. Grâce à sa  réputation acquise au champ d'honneur -certains le considéraient autant invincible qu'immortel-  une sorte de tapis rouge se déroulait sous ses pieds lui donnant accès à tous les salons mondains parisiens, où  son  allure de gourou donjuanesque  faisait des ravages. On n'a pas du mal à imaginer à quel point son légendaire accroche cœur roux, tel un mandala hypnotique qui semblait acquiescer le moindre propos sortant de sa bouche, devait hanter les rêves et l'inconscient du tout Paris  bien pensant. Selon le botaniste Cavannah, son assistant et plus cher ami, des envieux réussirent  à pousser le Général Debainson  vers  la chute en chatouillant son talon d'Achille, à savoir, la vanité. Pour comprendre cela il nous faudrait plonger dans l'atmosphère de ce monde disparu, dans cette effervescence qui agitait les esprits de l'époque où la science naissante et l'occultisme flirtaient de conserve dans le seul but de distraire une poignée de nantis désœuvrés. Dans ce contexte, le règne de Debainson paraissait indétrônable d'autant plus que ,son sujet de prédilection  étant la volonté, il défiait quiconque oserait le prendre en défaut dans le domaine. Il affirmait que son commandement sur la sienne, de volonté, ne connaissait pas des bornes et attribuait  même à l'idiosyncrasie de son esprit la capacité de violer les lois naturelles. C'est ainsi qu'un soir, confronté au scepticisme de l'un de ses détracteurs, il n'eut aucune crainte à soutenir publiquement que  la force de sa volonté était telle qu'elle en devenait transmissible temporairement à son entourage, si lui le souhaitait. Comme caution à ses propos il cita des nombreux faits de guerre  où l’héroïsme suicidaire  de ses  troupes ne pouvait être expliqué autrement que par l'intervention de ses dons surnaturels.  Son adversaire, presque vaincu, ne trouva pas d' autre salut pour son honneur que ce pari: "Soit, mon général.  Votre emprise sur les hommes  est attestée indubitablement par les faits. Cependant, cette force de  volonté  transmissible qui est la votre, la jugeriez vous capable d'être en mesure d'agir sur le règne animal? Iriez vous jusqu'à  convaincre un calmar, en l’occurrence, de nager allègrement dans de l'eau douce? De s'y réjouir même?". La réponse du général fut lapidaire: "En moins d'un mois, mon cher ami".   
 
Le mois qui suivit ne vit pas sortir le Général Debainson de son cabinet. Seul Cavannah, son assistant, parcourait les salons dont il était devenu la coqueluche. Lui, dont le charisme avait été  si souvent comparé à celui d'un encornet, jouissait à présent d'une popularité étincelante et nul conciliabule mondain digne d'être fréquenté ne pouvait se passer de la présence du pâlot Cavannah. Pourtant son esprit d'escalier et ses manières rustres n'avaient pas changé d'un iota. Il avait tout juste préparé une tirade qu'il répétait plus ou moins inchangée une ou deux fois par soirée: "Dans moins d'un mois vous verrez. Dans moins d'un mois! Le Général est en train d'accomplir sa plus belle campagne sans sortir du cabinet!". Les dames se pressaient autour de lui en lui implorant des précisions, des détails. "Son regard est terrifiant. Il fixe le bocal où Carmen évolue  apparentement  nonchalante mais assurément déjà soumise. Il ne la quitte des yeux que pour faire de temps en temps une annotation dans son journal de bord".  
 
La calmar avec lequel Desbainson s'était enfermé dans son cabinet avait été prénommé Carmen à l' insu du général. C'était le narquois duc de Montier-la-Vermeille, fameux déclencheur  de canulars en tout genre, qui  avait réussi l'exploit de faire passer pour officiel  le baptême du malheureux céphalopode à seule fin d'amuser la galerie. Le fait attesté par Cavannah est que Debainson passa des nuits blanches le nez écrasé contre un bocal et qu'il était impossible de distinguer dans  son marmottement de présumées incantations un prénom quelconque. Le jour arriva où Cavannah fit l'annonce: "Le Général Desbainson vous donne rendez vous. Ce dimanche 7 avril, à onze heures précises, vous êtes invités à vous rendre au quai des Grands Augustins. Ce là que le général a prévu le plongeon dans la Seine du premier calmar au monde capable évoluer dans de l'eau douce."
 
La légende dit que le tout jeune Georges Bizet était présent. Le quai grouillait de monde et Desbainson avait demandé aux autorités compétentes une vigilance accrue en prévision de ce qui était justement imprévisible: la réaction d'une foule mesmerisée prise à témoin d'un phénomène inexplicable. L'armée était sur le  pied de guerre, le général ne plaisantait jamais. Lui attendait l'heure annoncée, vêtu de son uniforme de parade, debout aux côtés du célèbre bocal où un calmar nageait insouciant. Le général tenait un lacet qui était accroché à un menu et ingénieux collier qui entourait le manteau de la bestiole juste en dessous de ses nageoires. Il avait conçu ce dispositif pour maintenir près de la surface de l'eau de  la Seine les évolutions de son pupille animalier, et il l'utilisa pour le sortir  du bocal en le plongeant dans le fleuve à l'heure venue. En ce moment  il  fût visible par  tous que après deux brèves et nerveuses pirouettes  l'animal  se contracta dans un spasme ultime qui raidi complètement sa délicieuse chair dans un dernier  jet d'encre  mortel. L'accroche cœur du Général Desbainson avait pris la tonalité d'un rouge  sanguinolent tant le contraste avec la blancheur de sa tempe était saisissant. Il quitta l'armée, et Paris pour Troyes.
 
De la main de Cavannah, dans son discours manuscrit intitulé  "Plaidoyer pour l'autopsie de Carmen", nous pouvons lire ses conjectures concernant l'affaire. Il avance l'hypothèse selon laquelle l'eau de la Seine au niveau du quai des Grands Augustins aurait été empoisonnée par les adversaires du général. Cela l'amène à affirmer que Desbainson avait en réalité trouvé la méthode pour influencer la volonté des céphalopodes mais que l'humiliation subie l'avait dissuadé de donner suite à ses trouvailles. Cavannah exprime son profond regret de ne pas avoir été suffisamment courageux  pour demander au général  l'héritage de son journal de bord. Après tant d'années, cette disparition serait-elle irréparable?: Amis de la brocante et autres vieilleries, à vos greniers!
 
 
L'Ectoplasme
 
Le 29 mars 2013
 

LE POINT DE VUE DE L’ECTOPLASME (9)

Merci à vous tous, merci à ceux  qui  sont venus  nous voir la semaine dernière  à Confluences. Personnellement j’ai été très ému d'assister, avec vous, à la naissance de cette pièce marathonienne, et quand je choisis le verbe « assister » englobant votre présence et celle de la compagnie  je le fais en pleine conscience. Car j’avais beau  être sur scène avec mon saxophone, quand  texte et musique prennent tout leur sens dans une exécution quasi simultané, d’une certaine façon, l’exécutant en est autant témoin que le public.   Pourvu qu’il en soit toujours  ainsi quand il s’agit de spectacle vivant, d’autant plus quand le Jazz est de la partie. Je m’explique...

 

L’espace/temps d’une série de répétitions a par nature quelque chose de doublement irréel étant donné que ses acteurs jouent une situation fictive, la pièce en elle-même, dans un présent fictif : le jeu s’enchaîne sur le plateau devant une salle parfaitement désertée en attendant le jour J qui  la verra se remplir de spectateurs. Tout ce processus ressemble à la confection d’un tas de bûches qui n’attend que vous, cher public, pour s’embraser avec le concours de l’étincelle de votre attention qui doit allumer le feu qui fera de  nous la braise; celle qui réchauffera notre réunion nocturne. En quelque sorte le spectacle vivant n’est pas loin des bringues que nos ancêtres avaient du se payer peu après la découverte du feu. A l’époque Sophocle, les saxophones et la projection vidéo n’existaient pas encore, mais la fraternité entre hommes et  ptérodactyles a du sortir sacrement renforcée de la domestication du feu. A force de fixer le feu soirée après soirée nos illustres homo sapiens ont du bien se dire qu’il fallait trouver autre chose de plus amusant, mais à  y regarder de plus près le concept fondateur était là : il suffisait de remplacer les flammes physico-chimiques par celles de l’esprit.

 

 La flamme ayant la propriété de ne jamais se répéter, d’esquisser sa danse envoûtante dans une parfaite et cependant sereine imprévisibilité,  le spectacle vivant destiné à  la remplacer lui doit une certaine émulation à cet égard. Le texte et la musique soigneusement répétés, façonnés  dans l’atelier de l’artisan, doivent sur scène se libérer, exploser, et surprendre autant le public que l’exécutant pour les prendre ensemble à témoin de la naissance de quelque chose de sincèrement  artistique.  Dans le Jazz, domaine qui m’est propre, tout ceci est rigoureusement requis pour qu’on puisse parler de mission accomplie et je peux vous avouer que, dans cette « Solitude du coureur de fond » que nous avons joué à Confluences,  l’impression d’avoir atteint ce but ne m’a pas quitté un seul instant. Bonheur double car renforcé par le goût inédit d’avoir découvert que les épousailles de la musique d’Art Pepper avec un texte littéraire produisent rien moins que du swing.

 

 Si quelque chose de semblable au serment d’Hippocrate existait pour les saxophonistes de mon école, celui-ci contiendrait sans doute une clause qui engagerait l’aspirant  à ne rien ménager en vaillance dans la besogne de swinguer. Qu’on y arrive ou pas, il faut s’en remettre à l'Hippocrate des musiciens de Jazz puisque  les paramètres à gérer sont multiples et périlleux mais, dans tous les cas, un partenaire complice dans cet exercice s’avère indispensable. Trouver ce complice en un collègue musicien, voilà de quoi se réjouir. Le trouver dans un comédien/coureur rajoute au ravissement de la surprise, de quoi rassurer  ce bon vieil Hippocrate.

 

Qu’on se le dise pourtant : tout ceci n’était qu’une première étape de travail. Dans l’histoire d’un tableau cela correspondrait à l’esquisse, aux études préliminaires, une sorte de préhistoire du tableau, métaphore qui ne devrait pas trop déplaire aux ptérodactyles de mon quartier.

L'Ectoplasme

Le 26 décembre 2012

 

 

 


 

LE POINT DE VUE DE L’ECTOPLASME (8)

 

La scène se passe dans le monde perdu, où deux ptérodactyles sont en pleine discussion.

 

DAMART (Ptérodactyle)- Tu vas y aller, toi ?

 

MIRTZA (Ptérodactyle aussi)- Où ça ?

 

DAMART- Au théâtre, voyons !

 

MIRTZA- Voir l’histoire du coureur ? Mais tu sais bien que c’est impossible. Nous sommes dans le monde perdu, la préhistoire quoi. La représentation a lieu en plein XXIème siècle.

 

DAMART- Et pourtant j’ai vu l’affiche, moi. Vachement chouette.

 

MIRTZA- Arrête ton char ! Il faudrait déjà que la sélection naturelle nous ponde une vache pour que tu puisses dire « vachement ». T’en vois beaucoup toi des vaches dans nos vallées jurassiques?

 

DAMART- Des vaches non, mais l’affiche est drôlement chouette, je t’assure.

 

MIRTZA- Bon d’accord. T’as vu l’affiche, tu veux voir le spectacle. Et comment tu vas faire pour t’y rendre ?

 

DAMART- Ben, sur l’affiche il y a l’adresse : 190 boulevard de Charonne 75020. Salle Confluences.

 

MIRTZA- Parce que tu crois qu'à Confluences ils sont équipés de fauteuils ptérodactyles ? Et tes ailes de chauve-souris galeuse, tu vas les mettre où, banane?

 

DAMART- Monsieur me fait la leçon avec ses histoires de vaches mais il se gêne point quand il s’agit de me traiter de banane, alors que nous savons tous que la banane, ça n’existe pas encore de nos jours.

 

MIRTZA- Pas plus que tes affiches.

 

DAMART- Allez, viens, je t’invite.

 

MIRTZA- Et tu comptes payer l’entrée comment ? Tu crois qu’ils vont te troquer des tickets contre un triceratops égorgé ?

 

DAMART- On s’arrangera. Je peux toujours baratiner le technicien du son pour qu’il nous file des invites.

 

MIRTZA- Tu le connais ?

 

DAMART- Bien sûr. C’est lui qui a fait la prise de son de mon disque.

 

MIRTZA- Ah oui, ton fameux disque. Le son de l’enregistrement était excellent mais la musique, franchement…

 

DAMART- Ca suffit, tout de même ! Je lui paye sa soirée au type, et lui, il a rien de mieux à faire que de passer son mal de vivre sur moi.

 

MIRTZA- C’est que je ne sais plus où j’habite avec tout ça. Les vaches ça n’existe pas encore, les bananes non plus mais toi, toi tu enregistres des disques.

 

DAMART- Et je passe la soirée en ville, parfaitement.

 

MIRTZA- On est bien dans le Jurassique? Dans le monde perdu, non ?

 

DAMART- Bien sûr, mais eux aussi, mon grand.

 

MIRTZA- Qui ça, eux ?

 

DAMART- Les gusses du XXIème, il suffit de prendre le métro pour s’en rendre compte. Crois moi, quand j’allais pointer au Musée d’Histoire Naturelle pour mon job d’été, où je restais immobile pendant des heures comme si à la place du ventre je n’avais qu’un tas de sciures, j’ai eu bien le loisir de les observer. Tu leurs mets deux ou trois écailles de lézard par ci par là, une dizaine de cigares à fumer qui rendront leur voix un peu plus rauque, et tu n’y verras que du feu.

 

MIRTZA- Vu comme ça.

 

DAMART- On est toujours la préhistoire de quelqu’un.

 

MIRTZA- Sophiste, va.

 

DAMART- Allez quoi. Si tu veux, je dis à Michelle de venir avec une copine.

 

MIRTZA- Comment ça ! Michelle vient aussi ?

 

DAMART- C’est en cours de négociation.

 

MIRTZA- Et bien ça sera sans moi, mon vieux. Son parfum me donne le tournis, le vertige même. On dirait l’odeur d’un triceratops mort depuis une semaine.

 

DAMART- J’aime bien, moi.

 

MIRTZA- Pff !

 

L’ECTOPLASME

Le 5 décembre 2012

 


 

LE POINT DE VUE DE L’ECTOPLASME (7)

 

Un saxophoniste qui joue dans une pièce nommée «La solitude du coureur de fond » où seulement deux personnages sont sur scène, dont un coureur, il est obligé de se poser la question que voici : n'incarnerais-je pas la solitude dans cette affaire? Et pourquoi pas, finalement. Quoi de mieux que la musique, si humaine et désincarnée dans le même temps, pour exprimer l’abstraction ? En l’occurrence celle qui correspondrait à l’idée de la solitude d’un jeune homme qui, sous le regard de la foule, donne une leçon à ses bourreaux tout en se moquant d’eux au passage. C’est la solitude de celui qui a le courage d’accepter pleinement sa position de faiblesse sans perdre un gramme de panache, au point de faire de sa défaite une victoire. Rien à voir avec le classique discours du présidentiable qui vient de perdre le deuxième tour des élections et sa soi-disant courtoisie républicaine, toute pétrie de calculs et de prévisions d’alliance. La solitude du coureur Colin Smith est, on ne saurait mieux dire, de fond.

 

Cette spécialité athlétique que les anglais nomment « long distance race » nous l’appelons en France « course de fond ». Le mot « fond » investit le dictionnaire avec un grand nombre d’acceptions, usages et expressions, qui vont du « fond de sauce » jusqu’au « fond de l’air est frais » que chantait le père Dutronc cigare au bec. Solitude de fond est une expression sûrement inédite mais l’association d’idées est assez pertinente. Parce que quand on embarque la solitude, le voyage est souvent long, et aussi parce que le mot « fond » est parfaitement adéquat pour décrire la solitude: sourde et présente à la fois, rôdant autour de nous comme un paysage ectoplasmique.

 

Si on s’amuse à coller un « s » sur le fond on obtient « La solitude du coureur de fonds ». Et cela nous fait un lien vague mais inespéré avec l’anglo-saxon « long distance runner », étant donné que longue distance évoque un terrain (il faut bien un terrain pour faire une distance quelconque, vous en conviendrez) et que le mot « fonds » y est lié dans son sens de terre exploitable, ultérieurement augmenté par l’avènement de l’expression « fonds de commerce ». Considérons ensuite la tendance de Colin Smith à courir les fonds d’autrui, plutôt que les jupons – il est en prison pour vol, ne l’oublions pas - et la boucle est bouclée. Colin Smith le fonceur foncièrement foncier, en tout bien tout honneur.

 

Certains persistent : et le saxophoniste dans tout ça ? Et si je vous disais que si ma tante Michelle assistait à la représentation, chose dont je doute, elle ne pourrait s’empêcher de m’embrasser entre deux petits fours pour ensuite m’assener un : « T'étais très bien, petit chéri ! Mais c’était qui ce monsieur si bavard qui n’arrêtait pas de courir autour de toi ? ». Loin de moi l’intention de vous infliger un fade « tout est relatif », expression détestable tout autant que lâche mais efficace raccourci à l’heure de saboter un débat, et bien moins encore en situant Tati Michelle sur le cadran de la boussole de la relativité. Je profitais juste de la question pour exorciser certains contentieux personnels, après tout c’est ma rubrique. Pour répondre, je dirais qu'à chaque jour qui passe, les répétitions s’enchaînant, je comprends de mieux en mieux le succès si mérité qu’a rencontré le beau texte de « La solitude du coureur de fond ».

La présence qui émane de ces pages est si réconfortante dans son humanité, si susceptible de rendre palpable justement ce qu'il y a d'intangible dans cette même humanité, qu’on en oublie sa nature littéraire. C’est du son, de la vibration imprimée, et quand la mélodie est belle le contre-chant va de soi. Il n’est pas étonnant d’ailleurs que la musique d’Art Pepper se marie si bien au texte, il suffit d’écouter les compositions de ce dernier pour comprendre que nous avons affaire au roi du contre-chant.

 

L’ECTOPLASME

Le 26 novembre 2012

 


 

 

LE POINT DE VUE DE L’ECTOPLASME (6)

 

Sur le site « lacritiqueparisienne.fr » nous avons la possibilité d’accéder au texte que François Gallix publia en hommage à Alan Sillitoe, auteur de notre « Solitude du coureur de fond », peu après son décès. Et parlons-en de ce Monsieur Gallix, que je n’ai pas encore eu le plaisir de rencontrer si ce n’est par le biais de sa prose et de la splendide traduction française de « La solitude… » que nous présenterons bientôt sur scène. Mon collègue Mons, après un entretien avec Monsieur Gallix, en revint parfaitement ravi et renseigné, grâce à ce dernier, à propos de la vive passion que Alan Sillitoe manifestait vis-à-vis de la pratique du langage morse, qu’il maîtrisait à la perfection.

A ce propos voici un extrait de l’hommage posthume à Alan Sillitoe par François Gallix: « Il s’appliqua à communiquer sa joie de vivre à ses jeunes auditeurs dans ses nombreuses conférences, notamment à la Sorbonne, terminées pipe à la bouche, en attendant une rasade de vodka. Il diffusait alors en morse un message, promettant, sans grand risque d’offrir toute son œuvre dédicacée (plus de trente romans, six pièces de théâtre, une dizaine de recueils de nouvelles et de poèmes) à quiconque pouvait déchiffrer son message! ».

Cette irruption inespérée du morse dans notre affaire de course de fond dont la contemplation, sous le prisme ectoplasmique, accepte tant de digressions multiples (des serres d’Auteuil jusqu’aux ptérodactyles en passant par Don Quichotte) a tout d’abord réveillé en moi une émotion, une fascination de l'enfance liée à la première fois où l’on m'expliqua le fonctionnement du système morse. Quelle aubaine pour un garnement que d’avoir accès à l’usage d’un code hermétique à la compréhension des futures victimes de ses forfaits! Quel bonheur de pouvoir exprimer, à table et par le seul martèlement d’une fourchette sur un verre (qu’on laisserait résonner ou pas selon la longueur du signal), l’étouffement qui nous accable sous l’emprise du nouveau parfum que Tati Michelle a cru bon de nous imposer. Un bon « ça pue la cocotte !!! » traduit en points et lignes sonores, au bon moment, aurait peut être soulagé tant d'inutiles rancunes à l’égard de nos arbres généalogiques… et sans gêner outre mesure les convenances. Parce que bon, on s’en souvient encore de la fois où maman avait pesté contre le parfumeur de sa sœur, et toutes les larmes que ça avait occasionné, et l'article auquel on avait eu droit concernant le traumatisme que signifiait être la fille d’un poissonnier installé dans une petite ville montagnarde pas toujours bien desservie par les fournisseurs. Moi, les vacances chez Papi j’ai toujours adoré, et d’avantage encore lorsqu'il n’était pas à la retraite.

J'avais l’intuition que dire la vérité délivre même quand celle-ci n’est pas comprise, par sa seule présence -fût-elle ectoplasmique- vu que de surcroît la vérité est rarement comprise et toujours déformée par notre perception/pensée. Et ainsi je me figurais qu'en disant cette petite vérité à propos de l’aura olfactive artificielle de Tati Michelle, d’une façon cryptée, je me délivrerais du poids que sa propension au drame m’imposait sourdement mais sans faille. Hélas, trop feignant à l’époque, je ne pris pas le soin d’étudier le morse même si traduire « ça pue la cocotte» aurait suffi, et je me contentai de demander à un camarade de classe de m’apprendre à dire cette phrase en hongrois, chose facile pour lui étant donnée l’origine budapestoise de ses ascendants. Quand à table, en présence de Tati Michelle, je proférai mon «ça pue la cocotte » en hongrois (je m’excuse, j’ai oublié la traduction depuis le temps), quelle ne fut ma surprise en voyant à nouveau jaillir des sanglots et des reproches existentiels à ne plus finir. Je compris mieux quand maman me révéla après coup les origines hongroises du premier fiancé de Tati, handicapé de naissance de toute perception olfactive. Tati maîtrisait parfaitement le hongrois.

Aujourd’hui, alors que Tati Michelle vit sa retraite dans un ashram à Ibiza, et que moi je fais mon saxophoniste ectoplasmique aux côtés du cher camarade Mons, j’envisage la question du morse bien autrement. Maintenant que la musique conditionne une bonne partie de mes pensées, le langage morse me paraît plus aisé à causer au saxophone qu’à la fourchette. Mais trouverais-je pour autant les modulations propres à faire swinguer un tel code ?

A priori c’est cuit, me suis-je dit dans un excès d’apriorisme. J’ai revu dans ma tête de vagues images de films de guerre, de celles qu’on a tous vues : un opérateur stoïque entièrement submergé par un capharnaüm sonore de signaux électriques - véritable essaim endiablé d’impulsions hertziennes qui rendrait fou le commun des mortels en moins de trois minutes - manipule son poste de transmission/réception pendant que son vaisseau coule. Trop désincarné ce verbiage, me disais-je aussi, on dirait des squelettes de phrase. Mais quelques brèves recherches ont suffi à me clouer le bec.

Car il paraît qu’un opérateur morse peut avoir sa signature, disons un genre de diction ou d’accent qui lui est propre. Et que cette signature aurait été primordiale, durant la seconde guerre mondiale, pour éviter qu’un imposteur se mette à usurper l’identité de celui qui était censé envoyer le message. Ainsi donc, les opérateurs formés en Angleterre qui devaient se rendre en France, avant le départ, enregistraient une bande avec leurs transmissions afin de laisser une trace de la signature qui caractérisait leur gouaille façon morse. De là à faire swinguer le morse il n’y a qu’un pas.

Si, comme je le souhaite, vous avez l’intention de vous rendre à l’une des représentations de « La solitude du coureur de fond », n’excluez pas l’éventualité de pouvoir entendre un ou deux messages en morse, en provenance du saxophoniste ectoplasmique. N’ayez crainte, Tati Michelle ne sera pas là, son gourou ne lui en donnera jamais l’autorisation.

L’ECTOPLASME

Le 16 novembre 2012

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

LE POINT DEVUE DE L’ECTOPLASME (5)

 

La scène se passe dans le monde perdu, où deux ptérodactyles sont en pleine discussion.

 

DAMART (Ptérodactyle)- T’as vu ? Ma fille a eu sa mutation.

MIRTZA (Ptérodactyle aussi)- Ah oui, quelle chance !

DAMART- La chance n’a rien à voir là dedans. Avec mon épouse on a fait ce qu’il fallait. C’est tout.

MIRTZA- Mais attends. N’avait-on pas appris à l’école qu’une mutation génétique c’est avant tout le fruit du hasard ?

DAMART- T’es pas à la page, toi. T’es vraiment condamné à disparaître. Si tu fréquentais les hautes sphères dans lesquelles je me suis donné la peine de m’introduire, tu saurais qu’aujourd’hui il y a des moyens de la provoquer, la mutation salvatrice.

MIRTZA- Ah bon ?

DAMART- Parfaitement. Et rien ne m’empêchera de me payer la tête de cette fichue sélection naturelle. Parce que bon, ça suffit. On nous dit d’abord que des nouveaux besoins créent l’adaptation du corps aux nouvelles contraintes et puis voilà que, plus tard, on nous sort l’idée selon laquelle nulle transformation corporelle n'est possible sans le concours d’une mystérieuse loterie génétique.

MIRTZA- C’est vrai que c’est terriblement angoissant. Des fois j’en cauchemarde. J’imagine que mon fils naîtra avec un bec plus fin, lequel en dépit des moqueries de ses camarades de classe, lui permettra au moins, à lui et à sa progéniture également cyranesque, de survivre dans un futur où il ne restera que des fourmis à becqueter comme nourriture. Il faut un bec ultra fin quand même pour les ingurgiter. Mais, oh catastrophe ! Qu’est-ce qui se passe si les fourmis disparaissent et il ne reste à manger que des grosses bêtes ? Il aura eu les moqueries pour rien si ce n'est sa propre disparition par inadaptation... le fiston.

DAMART- Il paraît que les fourmis c’est un bon investissement. Très durable.

MIRTZA- Là n’est pas la question. C’était un exemple. D’ailleurs je n’ai pas encore réussi à pondre un rejeton qui ne me ressemble pas en tout point, et ça m’exaspère, ils ont tous ma trombine. C’est le monde à l’envers, ma femme prétend que je la pousse à l’infidélité.

DAMART- Tout ça est fini, mon ami. Nous savons aujourd’hui lire les tendances de l’histoire naturelle, et nous avons les moyens de provoquer la mutation génétique souhaitée.

MIRTZA- Tu m’épates, vraiment !

DAMART- C’est ainsi que nous avons appris avec mon épouse que le futur appartient à une race buveuse de lait.

MIRTZA- Buveuse de quoi ?

DAMART- De lait. Cela ressemble à de la sève animale, et ça sera sécrété par des nouveaux organes qu’on appellera mamelles. Ma fille, Marilyn, est née avec des mamelles figure toi. Regarde.

MIRTZA- Fichtre, que c’est vilain !

DAMART- Espèce d’inadapté. Dans quelques siècles ça va faire un malheur, mais ta descendance ne sera là pour le constater contrairement à la mienne. Le futur de ma semence est assuré, mon pote. Il ne me reste à présent qu’à produire la version masculine de Marilyn.

MIRTZA- ça promet ! Et vous avez fait comment  ?

DAMART- Un petit week-end dans la vallée de Tchernobyl avec mon épouse, en prenant bien soin de boire les eaux locales, et une friction de nos sexes respectifs avec des limaces jurassiques avant chaque rapport.

MIRTZA- Et ça fait des vaches à lait. Bon, bon.

DAMART- Comme sur des roulettes.

MIRTZA- Je me souviens d’avoir lu dans ma jeunesse un roman de science-fiction. L’auteur se figurait un monde futur dominé par des bipèdes –sans ailes ! tu te rends compte ?- qui auraient trouvé des moyens extraordinaires pour maîtriser la nature. Ils seraient arrivés si loin que la sélection naturelle ne les concernerait plus tant leurs techniques médicales seraient efficaces. Même le plus faible et difforme de leurs marmots aurait la possibilité de survivre et prospérer.

DAMART- De la science-fiction quoi.

MIRTZA- Oui, mais attends. Dans leur tête la sélection naturelle et la loi du plus fort continueraient à sévir. Même si potentiellement ils auraient eu les moyens de nourrir tout le monde, de pourvoir au bonheur de tous, il se seraient dépatouillés pour créer un système où écraser autrui serait la norme.

DAMART- Pleure pas Marilyn.

MIRTZA- C’est que ça ne doit pas être facile à porter ces excroissances… comment t’as dit déjà que ça s’appelle ?

DAMART- Mamelles.

MIRTZA- Oui, bon. Faudrait trouver une autre appellation peut être. Mamelle ça sonne âpre et rustre, ça suggère la rondeur mais….

DAMART- T’occupe. C’est pas tes affaires, reptilien arriéré !

MIRTZA- Hum. T’es pas poète toi. Dans le bouquin il y a une histoire dans l’histoire. Un personnage qui raconte la vie d’un type qui faisait un bon pied de nez à tout ce beau monde. Enfin, beau, c’est une façon de parler. Un gusse nommé Colin Smith qui à sa façon se moquait bien de tout ce bazar. Pas un saint, hein ! Il prenait ce qu’il y avait à prendre, mais avec élégance, et pas du tout possédé par l’anxiété arriviste propre aux mœurs les plus appréciées à l’époque . Tout ça juste en faisant de la course de fond.

DAMART- N’importe quoi !

MIRTZA- Il paraît qu’il aimait plumer des ptérodactyles, le gars

DAMART- Ah, parce que on serait censés peupler encore le monde dans ce futur hypothétique ?

MIRZTA- ça je n’ai pas tout à fait compris, je t’avoue.

DAMART- J’en ferais un bouchée moi de ce type.

MIRTZA- Il faudrait déjà que tu sois capable de l’attraper. Sa description correspond à celle d’un coureur imbattable. Et nous…avec cette démarche de poule rachitique….

DAMART- C’est vrai que nos fossiles vont donner à penser que nous sommes capables d’un vol majestueux…Si ils savaient !

MIRTZA- C’est vrai. Rien que pour attraper une mouche je me suis fait une luxation l’autre jour. Des poules je te dis…

DAMART- J’espère que ça va être bon ce truc.

MIRTZA- Quoi donc ?

DAMART- Le lait, imbécile !

MIRTZA- Sinon on pourra toujours en mettre dans le thé.

DAMART- N’importe quoi ! Mets du coca dans ton vin tant que tu y es !

MIRTZA- Eh oh, ça va ! Est-ce que je me frotte l’entrejambe avec des limaces, espèce de dégueulasse !

 

L’ECTOPLASME

Le 12 novembre 2012

 


 

 

LE POINT DE VUE DE L’ECTOPLASME (4)

 

J’ai récemment visité les serres d’Auteuil, ce coin de Paris qui fut un lieu de production horticole jusqu’en 1968, année où les impératifs d’aménagement autoroutier décrétèrent l’exode des courgettes à Rungis. Un beau coin de jardin et des vieilles serres du 19ème siècle restent pourtant, aujourd’hui consacrées à la culture de plantes tropicales et exotiques. Le jardin, de son côté, a la particularité d’être jonché de petites plaques à même le sol où un florilège de vers issus du trésor poétique français est exposé aux mêmes rigueurs météorologiques que les pensionnaires végétaux du site. C’est le jardin des poètes, endroit improbable où les vers de terre fraternisent avec leurs homonymes littéraires

A quelques mètres de là les serres sont ouvertes à quiconque désirerait les visiter. Personnellement cette activité m’a comblé au plus haut point et je trépigne de bonheur encore quand je revis ma rencontre, au milieu des couloirs qui quadrillent ce paradis en cage, avec un spécimen de l’arbuste du café. Tant d’années à absorber la magie contenue dans votre fruit et je ne connaissais même pas l’aspect de votre fière allure, lui ai-je dit. Le silence végétal de sa réponse était loin de manquer du charme désinvolte des tropiques.

A travers cet ensemble – jardin des poètes, serres tropicales, nœud routier doublé de boulevard périphérique - on a l’impression de vivre dans sa chair le cours de l’histoire. Comme si un Triangle des Bermudes temporel avait émergé dans ce Far West parisien, toujours plus à l’Ouest, comme disait cet éternel englouti par l’espace/temps de professeur Tournesol. Je m’explique, tout en vous recommandant chaudement l’expérience.

Il suffit de sortir du métro Porte d’Auteuil pour sentir en soi une impulsion urgente de se recueillir dans l’oasis promis que toute intention de visiter une serre ou un jardin suscite dans notre for intérieur.

…............

Une fois dedans, cette impression de percevoir par tous ses sens une radiographie de l’Histoire opère sans se faire attendre. Nous sommes immédiatement confrontés à ce drôle de vécu en constatant à quel point l’aspect vénérable des arbres –révélateur sous-jacent du fait que ces terres sont dédiées à la botanique depuis 1761- contraste avec le pesant murmure de l’autoroute. L’effet est amplifié ensuite par le cachet que des vieilles serres XIXème imposent déjà par leur aspect extérieur. Dans la plus spacieuse, dotée de bassins où des carpes se la coulent douce et de cages où de lointains cousins des canaris flirtent (également en douce) y rencontrer l’explorateur Livingstone en train de lire « Paradise Lost » sous un bananier, juste à côté du monsieur absorbé par « L’Equipe », deviendrait presque une scène parfaitement vraisemblable. Ajoutons à cela l’effet hallucinogène de la chaleur humide –l’air vicié par la transpiration chlorophyllienne- propre à l’intérieur d’une serre, et achevons le ricochet par le choc que nous recevrons en sortant : le grondement de l’autoroute à nouveau bien présent nous rappellera alors que, en prime, nous foulons un sol qui autrefois fût le potager d’où les Halles de Paris tiraient leur pitance avant l’avènement du royaume de Rungis. Vivre l’histoire dans sa chair.

Grâce à cette expérience une nouvelle lumière fut jetée sur mon ressenti à propos d’une phrase que le coureur de fond dit : « …cette course de fond au petit matin me donne l’idée que chaque course comme celle-ci est une vie –une petite vie je sais- mais une vie quand même… ». Et il est bien vrai que sa vie et son histoire façonnent sa course, sa façon de la concevoir, son style unique de coureur embastillé. Comme si les empreintes qu’il laisse et s'impriment sur la boue étaient les mots que l’auteur a tout simplement enfilés, l’un après l’autre, pour donner vie à sa nouvelle. Plus à la manière d’une sage femme qui assisterait la naissance d’une réalité vivante que comme un écrivain en lice avec sa page.

En jouant cette pièce sur scène, en la vivant dans notre chair, nous avons l’impression d’entrer par effraction dans une poche que ce vécu aurait creusée dans les parois d’un temps historique au delà de la fiction. Tout juste comme celui qui, s’étant rendu hasardeusement aux serres d’Auteuil, se trouverait soudainement dans la peau de l’explorateur Livingstone qui tape la discute avec un employé du génie civil, engagé dans le projet de conception d’une encore hypothétique autoroute.

 

L’ECTOPLASME

Le 5 novembre 2012

 


 

 

LE POINT DE VUE DE L'ECTOPLASME (3)

 

De plus en plus j’ai l’impression de que Colin Smith, le coureur de fond protagoniste de la pièce théâtrale dont ce blog est censé faire écho (mais peut être étiez-vous déjà au courant, au fond), fait partie des êtres que l’on pourrait qualifier d’inspirés. Mons, mon cher collègue qui interprète Colin, lors de la mise en place des premières répétitions m’avait confié d’un air mystérieux que, pratiquant lui-même la course de fond, celle-ci peut s’avérer une besogne au caractère presque hypnotique. Une porte ouverte vers un genre de transe inspiratrice particulière.

 

J’avoue qu’à l’époque j’avais prêté une attention distraite à cette affirmation non pas que je sois victime d’une idiosyncrasie excessivement sceptique, sinon à cause de la vague promesse que le lui avais fait d’essayer par moi-même. Vu que les débuts de toute discipline sont durs, j’avais du me dire dans un coin obscur de mon inconscient, avant que tu puisses ressentir un hypothétique état de grâce par le fait de la course il faudra en passer par de sales quarts d’heure sur les genoux. Essaie plutôt la position du lotus. Que nenni, on en revient au même, le coup de bâton du maître zen en plus selon les écoles.

 

Cependant je réalise à présent que d’une certaine façon j’en fais déjà de la course de fond. Façon ectoplasmique, bien entendu, à chaque fois que je me rends présent pour répéter avec Mons les diverses scènes de cette pièce qu'il nous tarde tant de vous présenter sur scène. Indéniablement je cours aux côtés, le plus souvent à la traîne, de cet athlète fantasque du monde carcéral d’une manière non moins fantasque, ainsi que plus clémente envers mes genoux, à savoir : en dépeignant chacun de ses pas et de ses pensées par le moyen du langage jazzistique. Peu efficace du point de vue du brûlage de calories, certes, mais ô combien privilégié si l’on souhaite pénétrer la psychologie du personnage. Et à ce titre je dois dire que Colin Smith me surprend chaque jour par sa cohérence et sa lucidité. Au point que j’en suis venu à me dire, peut être aussi parce que lui-même l’avoue, qu’effectivement j’en tiens là une, de preuve, que la course doit avoir une emprise sur la pensée et pas n’importe laquelle, sans doute se déclinant différemment selon les prédispositions du coureur. Je soupçonne celles de Colin très aiguisées et très promptes à percer les mystères d’une bibliothèque éthérée que j’imagine située dans la mémoire du monde, là où tout fait et geste depuis la Création a laissé une trace, consultable seulement par le biais d’un état second atteignable par tout un chacun pour peu qu’il se donne la peine d’altérer convenablement sa perception. A chacun de trouver son levier. Pour Colin : la course.

 

Et puisque je suis fidèle au crédit que je suis capable de donner à celui qui a été en mesure de le susciter en moi, il n’est pas rare qu’il m’arrive de mettre en question certaines de mes certitudes au tournant d’une affirmation qu'aurait émise celui-ci. Quelle ne fut donc pas ma stupeur quand j’entendis dire à Colin, c’est dans le texte : « et que même ce pauvre bougre de premier homme balancé sur terre en plein hiver savait se fabriquer un habit avec des feuilles ou plumer un ptérodactyle pour se faire un manteau ». Nous voici donc projetés vers une préhistoire à la Colin Smith où le ptérodactyle aurait été contemporain de l’homme. Je l’ignore, et ce n’est pas du tout cet aspect qui a attiré mon attention. Là où mon esprit a été chatouillé c’est dans la jouissance d’imaginer un ptérodactyle arborant un magnifique plumage, plutôt que vêtu de cette étoffe de serpent syphilitique avec laquelle on nous le présente si souvent. Pourquoi pas ? Déjà que le fossile de son squelette dénonce à quel point le port du bestiau était vilain laissez moi au moins fantasmer sur la clémence de la nature, ayant compensé tant de dégâts par une finition stylée digne d’une girl du Lido. Qu’est-ce qu’on en sait ? Il paraît que les protestations énergiques ne manquèrent pas quand, après tant d’années ayant imaginé les athéniens évoluant dans un parfait et immaculé décor blanc marbré, des drôles d’ historiens vinrent casser le mythe en suggérant que, d’après les dernières trouvailles, les sculptures dont les patriarches de notre civilisation se servaient afin d’assouvir leur soif d’idéal n’étaient pas moins bariolées qu’un clown de cirque de banlieue. Toute proportion gardée, classicisme oblige.

 

Et puis, le nœud de la question étant un manteau en plumes, le seul que j’aie le souvenir d’avoir vu se baladait sur les épaules de Groucho Marx dans une photo que j’aimerais bien retrouver. Imaginer le premier homme sur terre sous les traits de Groucho Marx emmitouflé dans un manteau en plumes de ptérodactyle me donne de l’espoir en l’humanité.

 

L’ECTOPLASME   

Le 29 octobre 2012


 

 

LE POINT DE VUE DE L'ECTOPLASME (2)

On nous vend sans cesse l’apologie du vainqueur et, par son biais, moins l’amour du travail bien fait que l’écrasement du misérable perdant. Si vous pensez que j’exagère songez à l’intronisation du trader de Wall Street en tant que modèle absolu de réussite, image d’Epinal de la fin du XXème siècle, dont l'excessive lubricité spéculative a fini par aboutir au moins - au prix que nous savons tous - au réveil de certaines consciences. Dans la bouche des Pères de la Nation Mondialisée, même « amour du travail bien fait», est une notion qui finit par avoir un arrière goût de chiottes. Je me demande comment ils font. Cela ressemble à de la magie noire, sûrement, voire crade.

En tant qu’ectoplasme de Colin Smith je me sentirais plus enclin à un genre d’amour du travail bien fait un tantinet plus teinté de subversion. Mais pointilleux à l’extrême que je me garderais bien, au même temps, de cautionner l’hagiographie institutionnelle du voyou étant donné que celle-ci, hélas, existe. Puisque même en admettant que l’on puisse considérer l’éventualité d’une poésie du gangster -parlons en avec l‘une de leurs victimes, par exemple- cette soi-disant poésie finit toujours par se gâcher à la lueur du traitement que l’industrie du divertissement en fait. Pas étonnant. Ceux qui la financent, étant des virtuoses du gangstérisme, ont la chose trop près du nez pour être en mesure d’avoir un quelconque recul poétique.

Le genre de loubard Colin Smith me convient bien mieux. Celui-ci porte en lui quelque chose du charme du bricoleur tenace et patient. Nous en revenons encore à l’artisanat de la petit industrie versus la brutalité des multinationales délocalisatrices. Une sagesse ancestrale du bon sens parle en Colin quand il dit: « Peut être que dès qu‘on a le dessus sur quelqu’un, on meurt ». C’est ainsi qu’un petit lascar de banlieue, par son indépendance d’esprit, rejoint la pensée de la philosophe Simone Weil (1909-1943) pour qui l’humanité commence en nous à partir du moment où, étant les détenteurs de la force, nous nous gardons bien de l’utiliser contre un adversaire excessivement affaibli.

Mais avec toutes ces digressions je me suis beaucoup éloigné de mon intention première, qui n’était autre que de vous faire partager les extraordinaires possibilités surnaturelles propres à un ectoplasme. Ainsi par exemple, un ectoplasme a la capacité de constituer à lui tout seul un cas clinique d’orthophonie inouï. En l’occurrence, avoir un cheveu sur la langue dans tout deuxième mot qu’il prononce au même temps qu’il souffre de dyslexie -et non plus de pilosités linguales- sur le cinquième mot de sa phrase. Cet état extraordinaire amènerait l’ectoplasme en question à prononcer «La solitude du coureur de fond» de la façon que voici : «La folitude du coureur de son». Et ce fait s’avère extrêmement pertinent si le susdit ectoplasme fait preuve d’assez de « folitude » (merci Ségolène) pour intégrer une compagnie de théâtre qui lui propose d’habiller au son de son sax le récit des péripéties d’un coureur de fond. J’en conviens, le même ectoplasme se trouverait bien perdu dans une adaptation théâtrale de « L’insupportable légèreté de l’être », qu’il ne pourrait autrement nommer qu’avec un malheureux: «L’infupportable légèreté du sceptre».

C’est tout? Vous vous direz. Après tout un bavardage pontifiant, aigri et interminable, nous débouchons tout juste sur un petit jeu de mots minable? Bon d’accord. Je vous avoue que mon ton de moraliste de foire me fatigue autant que vous. Alors permettez-moi de finir sur une note un peu plus piquante. En sachant que Colin n’hésiterait pas une seconde à traiter ses adversaires de cons, pourquoi se priverait-on d’appeler la pièce qui le concerne: «La solitude du fourreur de cons»? Pas trop politiquement correct? On ne va pas flanquer en tôle le petit lutin de la contrepèterie quand même.

L’EPTOCLASME.

Le 24 octobre 2012

 


 

LE POINT DE VUE DE L'ECTOPLASME (1)

 

Sûr que des saxophonistes poursuivant un coureur de fond, on ne voit pas ça tous les jours, parce que la première chose que ferait un saxophoniste lâché au beau milieu des planches, planté à côté d’un farfelu qui court en faisant du surplace, ça serait de foutre le camp aussi vite que lui permettraient ses gammes, mais c’est faux et je vais vous dire pourquoi.

Primo, la curiosité. Serait il donc vrai que les pas d’un coureur surplaceur martelant la scène pourraient remplacer le battement d’une batterie? Vous noterez, en tout cas, que cela permet déjà l’avènement dun néologisme: coureur surplaceur et, jetons la maison par la fenêtre, c’est ma tournée, osons même surplaciste!

Si la tentation vous venait de m’interrompre en prétextant que les coureurs qui font du surplace sont légion depuis l’invention du tapis roulant de course et, qu’ainsi donc, forger un néologisme en l’honneur du personnage que j’accompagne en musique dans la pièce où je joue friserait le délit de pédantisme, je vous demanderais de m’accorder une minute. Car, voyons, comment oseriez vous comparer un individu imbu de lui-même au point de penser qu’il peut rester digne en transpirant sur une machine qui le fait ressembler à un hamster dans sa cage, joyeusement soumis au tournoiement d’une roue imbécile, avec le glorieux Colin Smith de «La solitude du coureur de fond»? Je vous en prie, ne vous froissez pas si vous êtes adepte du tapis de course. Vous n’auriez pas du m’interrompre, c’est tout. Ou alors adoptez ce néologisme pour vous-même et dites vous avec orgueil que vous en êtes un, de coureur surplanâtre.

Revenons à ce bon vieux bougre de Colin Smith, la cadence de ses pas sur les planches de la scène fournit non seulement le plus juste rythme au récit que lui-même se donne la peine de déballer tout en courant; mais de surcroît cela le fait devenir le tapis sonore rêvé par tout saxophoniste qui désirerait intégrer sa musique à un texte dramatique quelconque. Détrompez vous, je suis loin de tomber dans la complaisance en disant ceci. J’ai parlé tout au plus du « juste rythme» ou du «tapis sonore rêvé» (finissons-en avec tous ces tapis!) dans le but de vous donner un avant goût de ce que vous attend si vous venez nous voir au théâtre. Alors avec « juste rythme» et «tapis sonore rêvé» nous sommes bien loin du racolage publicitaire, convenons-en, et plutôt dans les aveux du ressenti d’un saxophoniste ectoplasmique en pleine période de répétitions pour une proche représentation de «La solitude du coureur de fond». Pourquoi ectoplasmique le saxophoniste? Parce qu’il sera seulement projeté en image? Sûrement pas. Vous m’aurez bel et bien aux côtés de Colin, le coureur surplaciste déclamatoire des planches, adonné à la tache d’illustrer musicalement sa fuite en avant vers le triomphe des damnés. A tel point que «ectoplasmique», en tant que adjectif, ne convient pas du tout à la description que j’essaye de vous faire parvenir, étant donné que le substantif «ectoplasme» s’ajuste bien mieux à mon personnage. Comprenons nous bien, déjà qu’il n’est pas aisé de jouer un ectoplasme, figurez vous donc un ectoplasme ectoplasmique.

J’aurais la tentation de définir parfois notre binôme en invoquant une inversion du Don Quichotte. Oh, oui, tout suite les grands mots! Quel cuistre celui là! Attendez, laissez moi quand même gratter dans les grands mythes, ils sont là pour ça. Dans le récit du cavalier à la triste figure c’est bien ce dernier qui pérore sans cesse , alors que le bon Sancho le suit affolé comme il peut. Mon cher collègue Mons/Colin et moi-même le saxophoniste/ectoplasme, procédons presque à l‘inverse. Nos personnages ne faisant qu’un, lui, homme les pieds sur terre -et c’est le cas de le dire!- se livre à un interminable discours des entrailles, tandis que moi je joue les êtres éthérés, incarnant par la musique et sans dire un mot l’esprit d‘un cul-terreux urbain et sublime. Ceci vous clarifie la chose? Non? C’est pas grave. Je tâcherai d’être plus clair dans mon prochain article. Mais il n’en faut pas trop demander, de la clarté, à un ectoplasme. Portez vous bien d’ici là.

L’ECTOPLASME

Le 22 octobre 2012

 

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