La nouvelle d'Alan Sillitoe

Classique de la littérature britannique, cette nouvelle de 1959 est un texte moderne d'une grande musicalité qui se lit comme il semble avoir été écrit : d'une traite.

Autorisé à courir en dehors de la maison de correction (!) où il séjourne, Colin Smith porte en lui les espoirs du directeur qui espère en faire un exemple de réhabilitation. Mais le jeune athlète n'est pas dupe de l'intérêt qu'il suscite ! Il est dans un autre combat, une autre logique. Il ne cherche à avoir le dessus sur personne : "Peut-être que quand on a le dessus sur quelqu'un, on meurt."

Smith court continuellement... Ses pieds résonnent sur la terre dure des chemins et des champs gelés, seul le décor change. Et la foulée quotidienne du jeune "hors la loi" alimente une pensée haletante, une parole urgente qui fouille la mémoire, affole les rêves et construit son humanité. A tel point que par honnêteté envers lui-même et ce qu'il devient alors, il décide de perdre la course...

C'est l'antithèse de la mythologie du Winner qui doit vaincre, coûte que coûte. L'inverse d'une mythologie portée aux nues.

Le sport est un lieu de lutte où la société tente de contrôler les corps et donc les esprits en les soumettant au culte de la médaille et de la performance. Smith n'a que faire du prix du Ruban Bleu et va tout faire pour perdre une course qu'il pourrait aisément gagner.

"J'ai écrit une cinquantaine d'histoires jusqu'à maintenant, mais la plus importante pour moi est et sera toujours "La solitude du coureur de fond". Colin Smith est une pure invention. Je l'ai fabriqué au fur et à mesure qu'il courait, qu'il entrait dans ma vie en courant. Il est devenu une telle part de moi que de temps en temps je me demande si je ne le connais pas malgré tout." Allan Sillitoe

 


Le Coureur de Fond n’est toujours pas à bout de souffle

Par François Gallix, traducteur du texte et ami de l'auteur.

 

Publié en 1959 par Alan Sillitoe dont la voix malicieuse et rythmée s’est tue il y a deux ans, le long monologue subversif de Colin Smith dans La Solitude du Coureur de fond n’a rien perdu de sa charge émotionnelle ni de la force de sa révolte individuelle concentrée autour du sens que l’on peut donner à la notion d’honnêteté, différent selon le côté de la fracture sociale où l’on se trouve.

Pour Colin le jeune coureur de 17 ans emprisonné pour vol dans une boulangerie, c’est sa dignité et son intégrité qui sont en jeu. Pour le directeur de l’établissement pénitentiaire, il s’agit de remporter la coupe afin de renforcer le prestige de l’institution judicaire qui utilise le sport comme moyen de réhabilitation des jeunes délinquants et pour promouvoir le culte de la performance. Y a-t-il vraiment quelque chose de changé en 2013 ? A l’inverse, Colin revendique pendant toute la course son statut de perdant. Lorsqu’un lecteur disait à Sillitoe qu’il ne comprenait pas le sens de ce jeu de ‘qui perd gagne’, il répondait : ‘ce texte n’a pas été écrit pour vous !’

La meilleure preuve de la pérennité de ce cri de rage devenu iconique dans le monde entier, en particulier grâce au film culte de Tony Richardson, avec Tom Courtenay et Michael Redgrave, est la remarquable nouvelle adaptation pour le théâtre mise en scène par Patrick Mons , à la fois maître d’œuvre et coureur fougueux en jogging et running, qui parcourt en temps réel devant les spectateurs les 5 miles de cette compétition initiatique. Il est accompagné du saxophoniste Esaïe Cid, en habit de soirée qui ponctue le monologue de Colin sur la musique inoubliable d’Art Pepper, de David Cid, créateur vidéo qui éclaire et donne vie à la piste au sol et projette sur le rideau de scène un arrière-plan féérique ; un intermède comique représente en ombre chinoise le bobby ‘à la face d’Hitler’ qui interroge Colin sur le pas de la porte . Les lumières de Yann Le Bras laissent une place importante aux ombres évoquant parfois Le Troisième Homme , l’ingénieur du son, Guillaume Billaux entrelace les chaudes sonorités du saxophone et le souffle de Colin tout en faisant entendre les ‘flic-flac, flip-flap, trotte-trotte’du coureur sur la piste.

Le long monologue intérieur de Colin est entrecoupé achronologiquement par une profonde réflexion sur les circonstances qui l’ont amené en prison, l’épisode de la mort de son père, la vie avec sa mère et ses frères. Le texte du monologue a conservé toute sa vigueur, son authenticité et sa raison d’être au XXIème siècle.

Sillitoe disait qu’il écrivait avec la tête et avec les tripes (Le Monde, 12 décembre 1986), l’adaptation de Patrick Mons respecte parfaitement ces deux niveaux de lecture et les fait vivre intensément aux spectateurs de cette course solitaire qui symbolise la vie de chacun d’entre nous.

 

François Gallix

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